Les grandes prises de son du passé: lumière sur un homme de l’ombre

L'homme de l'ombre, l'ingénieur du son

L’homme de l’ombre, l’ingénieur du son

Je reviens encore une fois sur les grands ingénieurs du son – souvent méconnus – à l’occasion de l’édition limitée en 2012, (épuisée en CDs, mais téléchargeable sur Qobuz), du coffret de 82 CDs « Karajan 1960s » couvrant la période 1959-1970 par la Deutsche Grammophon.

Coffret Karajan1960s (DG)

Coffret Karajan1960s (DG)

Je ne suis pourtant pas fan de HvK

Si je ne goûte pas particulièrement les interprétations d’Herbert von Karajan, c’est surtout celles faites après 1975, enregistrées à la nouvelle Philharmonie et non plus à la Jesus-Christus Kirche de Berlin. Je préfère nettement le Karajan jeune, y compris celui de 1948 à 1955 en tant que chef permanent du Philharmonia Orchestra. Pour moi, le milieu des années des années 70 marque l’amorce d’un tournant dans le long parcours de Karajan.
De 1960 à 1989, un même homme l’a pourtant accompagné tout au long du chemin, qui s’est tenu dans l’ombre du maître. Une ombre d’autant plus dense qu’il s’agissait du disque noir vinyle et que par ailleurs le maître, lui, se mettait toujours en pleine lumière, en personnage très médiatique, voire mégalomaniaque, qu’il aimait incarner en public.

La double personnalité de Karajan:  (documentaire en allemand et non sous-titré, mais même les non germanophones comprendront le principal)

Cet homme dans l’ombre discographique du géant, c’était son ingénieur du son chez DG de 1960 à 1989, Günter Hermanns.

Incontournable

Le coffret « Karajan 1960s » est  indispensable dans toute bonne discothèque classique à plus d’un titre:

1 – Cette réédition couvre une période où les prises de son sont encore analogiques. Ce n’est pas une qualité en soi, mais à l’époque, du fait des limitations techniques du mixage, on utilise encore peu de micros. Cela impose des choix à l’ingénieur du son et suppose d’avoir de l’oreille, un certain goût musical.

2 – Nombre d’enregistrements sont alors réalisés à l’église évangélique du Jésus-Christ de Berlin dans une excellente acoustique à la fois longue, réverbérée, mais pas froide, au contraire. La Philharmonie de Berlin avec ses balcons en vignoble ne sera inaugurée qu’en 1963 (salle vite surnommée par les Berlinois «Zirkus Karajani»).

3 – L’ingénieur du son, Günter Hermanns, fait partie de cette génération des pionniers défricheurs de la stéréo aussi musiciens que techniciens.

4 – La remasterisation, plus tard, par les Emil Berliner Studios en qualité « Original Image Bit Processing » (OIBP) rend enfin toute leur musicalité à ces enregistrements analogiques dont les précédentes éditions en CD (y compris celles reprises en 1993 dans la collection Galleria) marquait une infériorité flagrante de musicalité par rapport au 33T vinyle. La remastérisation refait découvrir les bienfaits du numérique pour restituer parfaitement l’analogique des bandes magnétiques master d’origine, bien mieux que ne peut le faire la meilleure galette noire. Les enregistrements et mixages en pur numérique seront réalisés en 24 bits par les Emil Berliner Studios en 1990-91. A partir de 1995 DG commença la remastérisation des bandes analogiques en 24 bits et le retraitement selon le processus « Original Image Bit Processing ». C’est le cas de tous les disques du coffret « Karajan 1960s ».

5 – Sur cette décennie 60 Herbert von Karajan se révèle un grand chef, un conducteur d’orchestre inspiré, avec une vision,  et d’une rigueur, d’une fermeté de ligne, à l’égal des plus grands. Je ne retrouverai plus (ou de moins en moins) ces qualités chez Karajan à partir du milieu des années 70. Sa vision change, devient à la fois plus globale et plus superficielle, avec une recherche d’une certaine esthétique sonore que je trouve à la fois plus lourde, emphatique, assez indigeste, et avec moins de sens. Plus d’effets de manche et moins d’émotion, moins de tension (On peut parfaitement ne pas partager ce sentiment qui m’est personnel) .

Pour la petite histoire, Karajan aurait délaissé l’église de Jésus-Christ non pour son acoustique (excellente) mais pour des raisons, semble-t-il, de pures convenances personnelles. La Deutsche Grammophon, et donc Günter Hermanns, ne pouvait bien sûr que se plier aux caprices du maestro qui par ailleurs recherchait aussi « un autre son ». Peut-être aussi est-ce une conséquence de l’acoustique plus sourde de la nouvelle Philharmonie, avec un orchestre un peu plus dilaté et l’obligation d’y multiplier les micros. Bref, à mon goût,  après l’abandon de la Jesus-Christus Kirche comme lieu d’enregistrement, et quelles qu’en soient les raisons réelles, ça se dégrade à tous les niveaux, et je décroche.

Une seconde vie par le disque

Pour illustrer ce coffret « Karajan 1960s », le film « Karajan, La seconde vie » tombe à point nommé. Le film rend bien compte de la recherche de perfection qui animait Karajan sur tous les plans, musicaux comme techniques, et son rapport intime avec la technologie de pointe et avec le disque. Le film donne aussi une dimension plus humaine au personnage qui n’était pas que le « Kaiser », « l’Empereur » à la fois perfectionniste et tyrannique. Une personnalité complexe, contradictoire, qui mélangeait l’extrême précision et le laisser-aller. Il redonne enfin à un Günter Hermanns, au travers de deux conversations téléphoniques que Karajan a avec lui, la petite parcelle de gloire qui lui revient, derrière sa console de prise de son et de mixage.

Les oubliés de l’histoire

Sur le site officiel de DG, ou sur celui des studios Emil Berliner, le nom de Günter Hermanns semble quasi oublié. Si vous y lancez une recherche sur Günter Hermanns, aucun article ne ressort, seule apparaît une vague photo de studio où il est à demi caché. Ingratitude, indifférence envers les sans-grade, la valetaille ? Pourtant Karajan faisait totalement confiance à Herr Hermanns pour la partie technique, sans pratiquement jamais remettre en cause ses choix et ses réglages. Le son Karajan-Berliner Philhamoniker Orchestra de ces enregistrements à la Jesus-Christus Kirche  est donc aussi celui de Mr Hermanns, de ses options, de ses choix. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que toutes les prises de son effectuées par Hermanns étaient toujours bonnes, loin de là, en outre il ne travaillait pas seul.

Karajan – The second Life – Un film de Eric Schulz

Film de 80 minutes, disponible en DVD : http://www.amazon.fr/Second-Life-Herbert-von-Karajan . Format: 16:9 filmé en Haute Définition. Sous-titré multilingues

“Schulz is clearly in love with what the Karajan mythology can hand as a film-maker while realising that the wackier fringes of HvK lionisation need, if not exactly to be challenged, then at least acknowledged.” Gramophone Magazine, July 2013

C’est un des rares films, peut-être le seul avec « Pianomania – à la recherche du son parfait » de Lilian Franck et Robert Cibis (2009), qui évoque les hommes de l’ombre de l’univers musical classique, l’accordeur préparateur de piano (Steinway) dans en cas, l’ingénieur du son (Deutsche Grammophon) dans l’autre.

Moi, je me pose la question: le Herbert von Karajan des années 60 serait-il aussi grand dans son legs discographique sans un Günter Hermanns? Pas sûr. En tous cas il serait nettement moins immortel. Ce qui est certain c’est qu’aucun chef n’a autant enregistré et sur une aussi longue période et que dans cette quantité inégalée de disques, il a aussi laissé des interprétations exceptionnelles.

God bless Günter Hermanns

Le seul commentaire élogieux pour Günter Hermanns que j’ai trouvé sur l’Internet est celui d’un mélomane américain – CVA, de Sinking Spring en Pennsylvanie – trouvé sur Amazon.com concernant le coffret 1970s (donc pas le 1960s), mais qui partage mon sentiment de gratitude pour le tonmeister de la DG en indiquant qu’il avait eu l’envie de lui dédier un billet intitulé « GOD BLESS GUNTER HERMANNS »
http://www.amazon.com/review/R6Z27H178Z40T/ref=cm_cr_pr_viewpnt#R6Z27H178Z40T . La discographie abondante où le nom de Günter Hermanns apparaît pour la prise de son en tant que tonmeister, recording engineer ou balance engineer témoigne pour lui, plus que des louanges ou qu’un Grammy Awards (aucun ne lui sera jamais décerné).

Un trésor? Presque! Car beaucoup des pépites…

Sur les 82 CD du coffret « Karajan 1960s », tout n’est pas génial, et le côté commercial de la réédition, en faisant systématiquement un CD par 33T (CD donc sous-utilisé en durée), en double artificiellement le nombre tout en laissant en place les doublons déjà pratiqués avec les sorties des galettes vinyles de l’époque. Un autre bémol, le fac-similé des versos des pochettes des 33T 30cm d’origine est tellement miniaturisé pour tenir sur les étuis de 12cm des CDs qu’il faut une loupe pour arriver à les déchiffrer. Heureusement un gros livret séparé complète le tout.
Le coffret contient tout de même 188 oeuvres, et ce une fois les doublons enlevés. Seules 28 sont clairement notées enregistrées à la Jesus-Christus Kirche de Berlin, mais à l’oreille il y en a davantage. On en trouvera la liste, avec les minutages, parfois les lieux des enregistrements et les millésimes sur http://www.arkivmusic.com/classical/album.jsp?album_id=735543

Petite pause musicale

Karajan 1960s, et pas 1970s !

Attention, mes propos ne portent pas sur le coffret consacré à la décennie suivante « Karajan 1970s » qui contient lui aussi 82 CDs, mais bien sur le seul « Karajan 1960s ».
Le coffret 1960s : http://www.deutschegrammophon.com/en/cat/4790055
Le coffret 1970s : http://www.deutschegrammophon.com/en/cat/4791577

http://www.deutschegrammophon.com/en/series/prod_series?ID=GLLRIA
http://de.wikipedia.org/wiki/Jesus-Christus-Kirche_Dahlem
http://www.emil-berliner-studios.com/en/geschichte.html
http://de.wikipedia.org/wiki/Herbert_von_Karajan
http://www.arte.tv/fr/le-dernier-empereur/1982602.html
http://www.discogs.com/artist/835063-G%C3%BCnter-Hermanns
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pianomania
Karajan – A God among Conductors (revue Gramophone Janvier 2008) « Even 30 years later, his sound engineer at DG, Günter Hermanns, says it was rare for Karajan to comment on the takes that he, Hermanns, had selected. »
Karajan, au comble de la nostalgie (par Christophe Huss)

Grammy Awards

Grammy Awards

Pour retrouver les ingénieurs du son récompensés par un Grammy Awards dans les annéees 60 et 70: Grammy Award for Best Engineered Album, Classical

Mes conditions d’écoutes:
ripping NRT, lecture dématérialisée vraie en SARD++, stéréo 3D phonie. Enceintes Quad ESL63, casque Stax Lambda SR404 Signature, Ampli Stax FET/tubes euphonisé.  (voir billet(s) précédent(s) )

NB. Un autre grand méconnu du passé, lancez donc une recherche sur « Christopher Parker » sound engineer (EMI), comme par exemple ce lien.

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Si vous êtes mélomane, audiophile et un peu bricoleur (DIY), sans besoin d’être expert ni en informatique ni en électronique, les recherches entreprises depuis des décennies par l’Audiophile AA sur « la Hi-Fi autrement » vous intéresseront sûrement… La musicalité et l’émotion peuvent être vite au rendez-vous au delà de ce que vous pouvez imaginer. Et ce n’est pas une question de prix de la chaîne Hi-Fi, l’euphonisation est bénéfique sur les matériels audio hi-fi peu onéreux comme sur les ensemble les plus ésotériques de très haut de gamme…

Le Guide de l’Euphonie

« L’euphonie, dans le domaine de la musique, désigne une agréable et harmonieuse combinaison des sons »

L’euphonie, appliquée à une chaîne hi-fi, consiste selon moi à gérer de manière agréable et harmonieuse la combinaison de sons en provenance non pas d’une seule « source » unique (ici le CD audio) mais d’une source qui est en réalité toujours augmentée, influencée, insidieusement, sur tout son parcours de centaines de petits « affluents ».

Ignorer l’effet néfaste ces petits « affluents », c’est ce qui fait que la musique reproduite sur votre chaîne hi-fi pourtant d’un « bon niveau » vous parait souvent fade, ennuyeuse ou désagréable voire criarde et fatigante et qu’elle n’a pratiquement jamais la crédibilité et le confort du son direct « live ». Quel dommage!       La suite est à lire sur le Coin audiophile

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L'Audiophile Apiguide c'est plus de quarante années de recherches originales dans le domaine de la hi-fi, de la musique et de la psycho-acoustique. C'est une réponse à tous les mélomanes du XXIè siècle qui constatent jour après jour que la musique n'est plus au rendez-vous de leur chaine Hi-Fi, et qui n'ont trouvé aucune solution satisfaisante avec les matériels audio actuels du commerce, même les plus onéreux des marques les plus prestigieuses. Il suffit d'être un peu bricoleur et d'avoir l'esprit ouvert à d'autres voies que l'électronique habituelle...
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