L’écholocation consiste à émettre des sons et à écouter leur écho pour localiser à distance voire identifier les éléments matériels d’un lieu sans l’aide de la vue. L’écho est donc porteur d’information spatiale.
Bien sûr chacun sait comment la stéréo permet, sans image, de localiser les musiciens qui se répartissent de gauche à droite entre et au delà des enceintes acoustiques. C’est un minimum. Il est déjà plus délicat de restituer la notion de profondeur, et encore plus de marquer l’étagement des plans dans cette profondeur. C’est réservé aux bons systèmes hi-fi passant des bons enregistrements.
Bien plus que la scène frontale
Mais la notion de stéréo à 2 canaux contient en réalité bien davantage d’informations. Vos deux oreilles ne travaillent qu’en stéréo et pourtant vous êtes capable d’identifier un son venant d’en haut, d’en bas, émis à votre droite à votre gauche ou encore dans vos dos. Pourquoi donc votre chaine hi-fi n’en serait-elle pas capable, si c’est potentiellement contenu dans l’enregistrement sonore stéréo?
La tête et les oreilles
La réponse tient aux réflexions du son contre votre tête et surtout aux circonvolutions de vos pavillons d’oreilles. Votre cerveau en a intégré depuis votre plus tendre enfance toutes les informations qu’il pouvait en retirer. Interpréter ces micro-informations, c’est ainsi que des aveugles entrainés peuvent par des claquements de langue localiser des obstacles proches, et même de petits objets. Ils utilisent pour cela une méthode analogue à celle des chauve-souris et des dauphins. Tout un chacun peut d’ailleurs s’y entrainer (lire cet article).
Les microphones sont hélas stupides, ils n’ont pas un cerveau capable d’une telle analyse. Mais quand ils captent tout, et correctement, avec un excellent respect de la phase, alors notre cerveau à nous peut en retirer une foule d’indications spatiales.
Lire, psychoacoustique: Interprétation du son par le cerveau. Vous y lirez, entre autres, un test scientifique qui prouverait qu’écouter du Mozart rend plus intelligent (NB. on avait bien démontré aussi que les vaches donnaient plus de lait avec du Mozart qu’avec du Hard Rock en musique de fond!). Vous y lirez aussi que le plaisir musical est comme une drogue (sécrétion de dopamine)… à laquelle je dois probablement être accro.
La stéréo avec son 3D
La simple stéréo arrive donc à nous donner de tels retours d’information. Non seulement on perçoit l’acoustique du lieu, mais parfois cette acoustique vient imprégner la pièce d’écoute et y génère des informations latérales et non plus frontales. Les murs latéraux du local s’effacent alors. La notion de hauteur peut être aussi restituée. C’est surtout que les enregistrements où cette composante géométrique de l’orchestre est importante (et prise en compte lors de l’enregistrement) sont fort rares. Quand on a en même temps une localisation en hauteur, en largeur et en profondeur, et qu’en plus le compositeur a voulu jouer avec des effets de solistes et de chœurs situées plus bas, ou en haut ou devant ou sur les côtés, alors on s’aperçoit comment la scène sonore virtuelle se construit naturellement chez vous en 3 dimensions.
Une vidéo explicite d’architecture sonore
John Eliot Gardiner était allé enregistrer en 1989 les « Vespro della Beata Vergine, 1610″ de Claudio Monteverdi dans l’église St Marc de Venise pour les replacer dans un lieu historiquement conforme au parcours de Monteverdi. Gardiner s’est attaché à en reconstruire la dimension spatiale.
En cherchant un peu vous trouverez vite d’autres passages en vidéo de ce DVD. Ces deux-ci ont l’avantage entre autres de montrer comment J-E Gardiner a recherché à reproduire par le placement des musiciens, des chanteurs, les effets d’échos, de réponses, de renvois, la géométrie du son dans l’espace voulue par Monteverdi.
Sans aucune vidéo, sur un excellent système, cette pseudo « écholocation » surgit, se perçoit et même désoriente tant qu’on n’a pas lu sur la pochette ou vu sur le DVD comment est construite la scène orchestrale dans l’espace. Quand on voit la vidéo seulement après, alors on se dit « mais oui, c’est bien ça ». Du coup, quand on réécoute l’œuvre des semaines ou des mois plus tard, on reconstruit visuellement la scène sans le moindre effort. On est à St Marc, c’est magique!
Ne vous leurrez pas, les vidéos en ligne ne vous donnent qu’une faible idée de cette musique et de cet enregistrement, au mieux 15 ou 20%.
Plus bas sur cette page, dans le précédent billet, figure une vidéo extraite de l’enregistrement live, toujours par Gardiner, lors des Proms au Royal Albert Hall en 2010, de ces mêmes Vêpres de la Sainte Vierge . On se rend bien compte des effectifs au format « grand spectacle » de l’œuvre. Mais on peut faire plus intimiste sans la trahir pour autant.
Pas facile à bien rendre chez soi
Certes cet enregistrement de 1989 est difficile à bien rendre en 3D stéréo. Des parties vocale sont très lointaines, très sur le côté, réparties en hauteur, les niveaux sonores vont de l’infime au tutti choral le plus imposant… et pourtant tout doit pouvoir s’y percevoir sans même tendre l’oreille par une parfaite localisation des sources sonores dans l’espace, bien replacées dans leur acoustique. Je parle bien du CD et non du DVD. Les effets d’écho, de contrechant, de renvois, doivent se répondre comme des balles de pingpong ou de squash qui rebondiraient dans tous les sens entre 4 murs. C’est plus que du home-cinéma 7.1 car il y a la sensation de hauteur en plus, et cela sans la moindre image. Et quel espace!
Vespro della Beata Vergine/ Monteverdi/ Gardiner 1989, Contexte historique, guide d’écoute (.pdf)
Un test, aussi
L’œuvre est une merveille, l’enregistrement de 1989 est, à ma connaissance, unique dans son genre… Même si vous n’arrivez pas à ce son 3D cela reste beau. Et c’est aussi un test probant, sans l’aide d’un support visuel, pour savoir à quel point votre système audio hi-fi est euphonisé ou non.
Conditions d’écoute
A noter que le rendu sonore 3D de ces « Vespro della Beata Vergine, 1610″ a bénéficié d’un mode SARD++ récemment amélioré par l’ajout de deux « filtres » eTo placés sur le port USB 3.0, bien que celui-ci ne soit pas utilisé pour la lecture dématérialisée vraie.
On en trouvera les photos et les explications dans le fichier 138-R&D
NB. Si vous préférez le télécharger, choisissez la version LLS wav 16/44,1 chez Qobuz, et traitez-la en SARD (même poids final des fichiers)
Quelques autres versions
La version de Rinaldo Alessandrini à Rome au Palais Farnese (2004), celle de Jordi Savall en la Basilique Santa Barbara de Mantoue (1988), celle de Christina Pluhar en la salle de l’Arsenal de Metz (2010), ou encore celle de Sigiswald Kuijken à Louvain (2007) montrent à quel point on peut interpréter différemment un chef d’œuvre sans pour autant qu’on puisse établir une hiérarchie qualitative. Toutes sont belles et ce à des titres très divers. Mais celle de Gardiner est vraiment unique, grandiose, magnifique, bluffante dans sa dimension spatiale.
Ping : Les enregistrements réussis sont ceux qui ont aussi capté l’émotion | Le blog audiophile de AA
Bonjour,
merci pour le partage de votre passion. Un peu comme vous je recherche la transparence et l’émotion musicale, l’approche du concert, bref la vie.
Je vous souhaite de très bonnes et musicales fêtes de fin d’année.
« fermez les yeux vous entendrez mieux »