Malades de trop de moyens techniques
Les enregistrements modernes sont souvent pénalisés par les possibilités technologiques modernes, au lieu d’en bénéficier.
Jusqu’au début des années 80, on devait souvent se contenter de quelques micros et de possibilités réduites de mixage liées à l’analogique. On avait alors de belles scènes sonores, réalistes, homogènes. Peu ou pas d’effet de loupe outrancier, de grossissement anormal des instruments ou des chanteurs.
Avec la multiplication des micros et la capacité de faire tous les mixages que l’on veut, on a vite abusé de la profusion des moyens techniques. Chaque instrument s’entend comme s’il était en solo au premier plan, la soprano couvre l’orchestre symphonique, le piccolo du 6è rang se gonfle au niveau du premier violon etc. On doit tout entendre et tant pis si l’image orchestrale y perd, tant pis si tout devient plat, sans acoustique naturelle, sans étagement des pupitres, sans aération, sans âme. Avoir des moyens ne dispense pas d’avoir du goût.
Quelques fois, la dégradation vient non pas de la bande-son originelle mais de sa numérisation plus tardive qui « bénéficie » d’un nouveau mixage. Cela m’est arrivé avec l’excellent 33T « Original Ragtime » de Claude Bolling (1966) dont la version numérique montrait un piano de concert allant d’une enceinte à l’autre, alors que le vinyle offrait un piano correct.
Petite pause musicale avec Claude Bolling
La dilatation exagérée de la largeur transparait souvent sur les enregistrements de solistes, au piano ou au clavecin. On se demande si l’ingénieur du son est sourd ou non, ou sur quel système de monitoring il travaille pour ne pas s’en être rendu compte.
Des mixages volontairement hyper larges
En fait c’est voulu. Je crois que c’est à la fois une question de mode et une question de marketing. On pense business et probablement à l’auditeur/consommateur moyen… les mixages semblent réalisés pour une écoute sur mini chaine où les haut-parleurs ne sont écartés que de 40 ou 50cm!
De tels défauts sont bien sûr gênants pour l’écoute stéréo sur des enceintes espacées normalement de 2,5 à 3,5m, ils sont encore plus désagréables pour une écoute au casque ou avec des oreillettes intra-auriculaires.
Il est cependant possible d’y remédier.
L’ultime recours contre l’hypertrophie
Je vais déroger pour une fois à mon principe général qui est de bannir tout correcteur de tonalité, tout égaliseur graphique et tout effet sonore rajouté, tout DSP, VST et autre processeur d’effets spéciaux acoustiques spectaculaires (à laisser au home-cinéma).
En fait il suffit de re-mélanger partiellement, mais avec doigté, les voies droite et gauche pour retrouver une image sonore plus cohérente, plus naturelle, moins étalée, sans y perdre pour autant sur les timbres, la pêche, la vie, l’émotion.
Cela s’effectue aisément avec un plugin « Channel mixer » que l’on installe dans AIMP3, mon player audio de prédilection. En plus des preset existants, j’en ai ajouté 4 de mon cru dénommés Narrow mini, Narrow moins, Narrow, et Narrow plus. Ces 4 préréglages correspondent à une réduction en largeur qui va du léger au fort et qui selon moi suffisent à résoudre 99% des cas les plus embêtants, tant pour l’écoute au casque que pour l’écoute sur enceintes. Bien sûr ce n’est pas tout à fait neutre mais le rapport bénéfices sur inconvénients est largement positif musicalement parlant. Téléchargez le dossier scripts.zip
Des prises de son hyper proches
La mode est venue avec le numérique et avec la facilité de pouvoir placer autant de micros qu’on le veut, aussi près que possible. L’objectif est de tout faire entendre, comme si on avait la tête dans le piano et les oreilles sur les cordes du violon ou du violoncelle. Cela n’a plus rien à voir avec l’écoute d’un vrai concert, même installé aux meilleures places. Le souffle du flûtiste (flûte traversière), le bruit clefs de la clarinette, le bruit de bouche du trompettiste, la mécanique du clavecin, le glissement des doigts sur le manche de la guitare peuvent en arriver à être carrément gênants. Même les bruits des froissements du tissu du vêtement du musicien s’entendent parfois. C’est de l’écoute à la loupe, voire indiscrète, avec souvent comme corollaire une anamorphose qui rend la grenouille aussi grosse que le bœuf. Parfois c’est intéressant, quelques fois instructif, voire amusant, mais c’est rarement musical.
Des bonnes prises de son, mais oui, ça existe encore!
Le multi-micros, le foisonnement des pistes, l’enregistrement en 24 bits 96kHz ou plus, les immenses possibilités du mixage numérique que cela autorise peuvent aussi donner des choses excellentes, et pas que des daubes. Encore faut-il le vouloir et s’être donné les moyens de ses ambitions, comme par exemple le choix judicieux du lieu de l’enregistrement, avec parfois le concours inattendu de… Saint Jérôme.
Chiesa di San Girolamo
Je parie que vous ne connaissez pas l’église San Girolamo (Saint Jérôme), située à Bagnacavallo en Italie. Pourtant vous devriez. C’est une vieille et belle église dotée d’une acoustique exceptionnelle, idéale, dénichée par hasard par Paolo Ballanti, de l’Accademia Bizantina. On y donne depuis des concerts et de nombreuses maisons de disque y ont fait des enregistrements particulièrement réussis, Naive Classique, Decca, l’Oiseau Lyre, Harmonia Mundi, Arts, Denon etc. plus des retransmissions radiophoniques en direct par Radio France, la Rai Radio Tre, la RSI, la WDR.
C’est cet endroit que Guiliano Carmignola et l’Accademia Bizantina d’Ottavio Dantone ont choisi pour enregistrer en 2012 le CD « Vivaldi con moto ».
Et s’il y a une faute de goût pour cet album « Vivaldi con moto » c’est (peut-être) dans le choix de l’image et du titre (jeu de mot vaseux sur « moto ») pour faire une pochette qui se veut branchée, style « motard en Harley sur la route 66″. Car le contenu du CD, des œuvres tardives de Vivaldi, des Concertos pour violon et basse continue, est un régal. C’est nerveux, vif, enlevé, plein de sève et d’inventions, sans tourner au caricatural… J’ai particulièrement aimé le concerto RV281. Les musiciens font preuve d’un véritable engagement, d’une envie de jouer communicative qui emporte l’adhésion sans se poser de questions existentielles.
Petite pause musicale
Une bonne prise de son, c’est l’art de mentir
Ce Vivaldi con moto est servi par la bonne prise de son de Reiner Maillard et par le travail soigné des Emil Berliner Studios de la Deutsche Grammophon.
Transparence correcte, timbres, dynamique, équilibre des pupitres, disposition spatiale, avec une scène virtuelle assez crédible au delà des enceintes en dépit du fait que les musiciens font en réalité un cercle autour de Carmignola (cf photo dans le livret). Oui, c’est du mentir-vrai comme on aimerait l’avoir plus souvent dans son salon. Reproduire dans son domicile un orchestre enregistré ailleurs est toujours un mensonge, mais quand le mensonge est bien fait, on y croit, on s’imagine vraiment au concert et on y prend encore plus de plaisir.
Le CD est un Archiv Produkion que j’ai bien sûr écouté en mode dématérialisé vrai, retraité en SARD++
La transparence d’autan
Il n’en reste pas moins que les meilleures prises de son antérieures à 1982 restent inégalées au plan de la transparence, de l’aération générale comme par exemple ce vieil enregistrement de 1980 de La Folia de la Spania, par l’Atrium Musicae de Madrid direction Gregorio Paniagua (Harmonia Mundi, CD de la collection économique « Musique d’abord »), l’ingénieur du son se nommait Jean-François Pontefract.
Petite pause musicale, justement avec Gregorio Paniagua
Attention! La Folia de la Spania(*) est vraiment un disque fou où les prises de son « sérieuses » alternent avec des collage musicaux, des bruitages… parfois délirants ou davantage blague de potache. Mais c’est un peu la règle du jeu pour des variations sur La Folia, jeu ici poussé à l’extrême. je rappelle qu’en 1980, on est en pleine époque des Monty Python, de La Panthère rose de Peter Sellers et de Massacre à la tronçonneuse… si vous voyez ce que je veux dire, alors… « Delirio con auto » – vous comprendrez avec la dernière plage du CD.
(*) Les Folies d’Espagne, un phénomène unique par son ampleur et sa durée dans l’histoire de la musique lire la suite …
Jean-François Pontefract se raconte, lors d’une rencontre-podcast à écouter sur Qobuz « Les Magiciens du Son »
http://www.qobuz…. Les-Magiciens-du-Son/Jean-Francois-Pontefract-une65201. Il y parle aussi de sa déception à l’écoute comparée des premières conversions en numériques de bandes analoqiques (vinyle vs CD écoute en auditorium de La Passion selon St Mathieu de Philippe Herreweghe)… Cela ne m’étonne pas, ce fut très longtemps aussi mon cas pour le compact disc, cela avant le lecteur CD/SACD de salon Phi audiophile, avant l’euphonisation, avant la dématérialisation vraie et le SARD++
Quelques liens:
http://www.accademiabizantina.it/
http://www.emil-berliner-studios.com/
http://old.hfm-detmold.de/eti/institut/dozenten/maillard.html
http://www.labassaromagna.it… Accademia-Bizantina-incide-cd-nella-chiesa-di-San-Girolamo-a-Bagnacavallo